C’est son avis «Maintenir des exploitations familiales ne va pas de soi»
Sociologue à l’Institut national polytechnique de Toulouse, François Purseigle estco-auteur du « Nouveau capitalisme agricole, de la ferme à la firme » (1). À côtéde l’émergence de micro-exploitations et de fermes « firmes », il constate, une montée en puissance du « faire-faire ».
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Les outils qui le permettent
À partir des années 1950-1960, tout a été fait pour que l’agriculture repose sur des exploitations familiales : politiques d’orientations agricoles, statut du fermage, Ceta et Geda, Gaec, coopératives et Cuma… Ça a été le cas en France mais pas forcément partout. En Grande-Bretagne, dans les pays d’Europe de l’Est, ce n’est pas le modèle qui a été défendu. Les outils mis en place chez nous pour permettre leur développement ont été très efficaces. Jusqu’à la fin du XXe siècle, la défense de ce modèle a bien fonctionné.
Une rupture silencieuse
Aujourd’hui, on ne compte plus en France que 3 000 installations, pour 19 000 départs. Le modèle familial éclate pour laisser la place à une efflorescence de sociétés, une banalisation de l’entreprise agricole, une fluidité des métiers et des statuts. À côté des exploitations traditionnelles, on voit apparaître des microfermes, d’élevage ou de maraîchage, souvent bio. Dans toutes les filières, des fermes « firmes » émergent, comme celle du groupe italien Bovina en élevage, installée sur trois sites en France. On constate aussi une montée en puissance du « faire-faire », avec des propriétaires exploitants qui confient le travail de leurs terres à des tiers. Une rupture silencieuse et souvent invisible est en cours, et ce phénomène semble inéluctable dans certaines régions.
Logique patrimoniale
Dans un département comme la Haute-Garonne, 495 exploitations sont aujourd’hui gérées, pour plus de 70 % de leur SAU, par des tiers. La logique patrimoniale prend le pas sur la logique économique de l’agriculteur chef d’exploitation. Cette nouvelle forme d’agriculture s’appuie sur des dispositifs de sous-traitance ou de délégation de service. Le propriétaire exploitant confie la totalité de la gestion de son exploitation à des sociétés de gestion, le diagnostic agronomique à des agronomes, ou la réalisation des travaux culturaux à des pools d’entreprises de travaux agricoles. En même temps, de nouveaux métiers apparaissent tels que maître d’œuvre, landmanager, maître d’ouvrage… Cette rupture fondamentale est en cours à l’étranger, parfois depuis très longtemps, comme en Grande-Bretagne ou en Argentine. Même les estancias d’Amérique du Sud sont concernées !
Une question de volonté politique
Cette nouvelle forme d’organisation concerne les agriculteurs qui prennent leur retraite, leurs fils qui travaillent à l’extérieur, ou encore ceux qui lâchent prise avant 60 ans. Ils sont tentés par cette nouvelle forme d’agriculture parce que l’avenir leur semble très incertain. L’histoire montre qu’il est possible de maintenir une agriculture familiale en France, mais il faut le vouloir. Elle ne va pas de soi. Et parmi tous les défis à relever à l’échelle des territoires, celui de la coexistence de différentes formes d’organisation du travail m’apparaît être l’un des plus importants.
Propos recueillis par Blandine Cailliez(1) Éditions Les Presses de Sciences Po. 2017. 26 €. Il s’exprimait au cours de la journée « Prospectives de la coopérative de l’Aisne Cerena ».
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